Yo !


"On ne s'entraîne pas pour Paris Brest Paris, on s'y prépare..." Zapilon : un vétéran de PBP (6 participations)


Préparer Paris Brest Paris, c'est, pour moi, préserver au maximum mon état de fraîcheur physique et psychologique tout en conditionnant mon corps à affronter 4 jours d'efforts sur 1250 kms. C'est donc réserver, pour la plus grande partie, mes sorties de vélo de route à l'essentiel : les longues distances et l'aventure. Et traiter l'ordinaire de la préparation physique par des activités que l'on a souvent qualifiées, dans la chapelle cycliste, de "non-compatible"... Bref, vous aurez compris, que fidèle à moi-même, "je cultive ma différence"...


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Paris Brest Paris 2011 : ça y est, c'est fait !

I'm FINISHER PBP 2011 !



Et voilà, le Zèbre est remisé dans son coin de garage, pendu par le cadre à son crochet dédié. J’en ai fini de cette aventure, longue de deux ans et qui s’est conclue le 25 Août 2011, comme on referme la dernière page d’un livre. On le tient, la main couchée dessus, avec l’esprit parti vers un ailleurs vagabond, cerné par la nostalgie du ferment de la mise en abîme, haletante, et par la curiosité de la nouveauté du prochain ouvrage. Me voilà, sur le stade du gymnase des droits de l’homme de St Quentin en Yvelines, ne sachant si je dois rire ou pleurer, automate dans mes mouvements pour satisfaire aux dernières démarches administratives, automate dans mes pensées, rempli de ce que je viens d’accomplir, son prix, son exaltation et conscient qu’il va falloir assez vite garnir cette case vide. En attendant :


« J'ai longtemps rêvé cette arrivée...je crois même avoir un peu trop idéalisé ce moment... J'ai attendu avec impatience de deviner enfin ta silhouette... J'en avais mal au ventre, autant je crois qu'à l'attente des résultats du Bac ou de mes examens à la fac... Je me suis surprise même à trembler... Là où j'étais placée, chaque randonneur déboulait d'un petit virage derrière une petite haie... Je regardais ma montre sans cesse, mais tu n’arrivais toujours pas… J'espérais saisir et immortaliser dans ma mémoire ton premier sourire... J'attendais un cri de joie, une étreinte passionnée… Comme à la télé… Je n’avais pas imaginé un instant que cette aventure allait s'achever aussi modestement et avec cette apparente indifférence… J’étais quelque peu désemparée… Déçue, oui, frustrée je crois… Tant de kms à parcourir, une préparation qui avaient conditionné ta vie (mais aussi un peu la nôtre) pendant 2 années... Je ne comprenais pas... Tout était déjà fini... »


Tout était déjà fini… Ce sont les mots de ma femme. Qui traduisent nos sentiments mêlés, cette dernière page difficile à tourner, celle de cette grande aventure, ma plus grande aventure sportive, si prégnante, qu’elle s’est refermée au ralenti dans les semaines qui suivirent. Un blues…
Paris Brest Paris est un tout, qui va au-delà de cet aller-retour, épisode final écrasant, partie émergée de l’iceberg. Bien décevante subjectivement, dans beaucoup de compartiments et subjuguante par d’autres côtés…

L’important, c’était Brest, un graal, une chanson de geste. J’étais tendu vers Brest, et son inconnu.
Brest qui se défendit comme une forteresse, projetant un brouillard épais pendant l’approche de nuit au-travers des monts d’Arrée, offrant un matin piteux envahi par la bruine et la brume à ses pieds. Brest qui reste un mystère, ne donnant à voir que des immeubles gris et un flot de circulation encombrant. Quel était donc ce point à atteindre, cette limite obsédante pour le corps et l’esprit ?
Point cardinal, une ruée vers l’Ouest, j’y allais en pionnier, espérant mettre la main sur un filon tout en sachant que le chemin allait être parsemé d’embûches.

Il est clair que je fus pris par la légende, j’avais envie d’être sur cette route, sur ces traces, sûrement de m’y confronter, l’été venu… Ce qui m’intéressait, c’était d’aller y faire un constat : oui, je suis capable, à ma manière, de dompter ce ruban fauve. A ma manière, sans séquelles et dans la gestion des aléas et des bas : il fallait m’en sortir, pouvoir me tenir droit, en conformité avec mes prévisions.
 Cela m’exaltait de vérifier cette conformité avec la réalité. N’en être pas si sûr ajoutait du sel à l’épique : Paris Brest Paris est raconté comme une épopée. Surfer la vague et en dégringoler comme ce fût le cas en 2007 n’est pas chose si facile à assumer : un petit regard de biais te jaugeant et te laissant le goût de l’aigre-doux, les arguments tombant à plat face à la montagne, que l’on n’a pu gravir. Soit tu réussis à revenir à ce rond-point du gymnase des Droits de l’Homme, soit tu te tais… Point barre.

Dimanche 21 août, le soleil nous enveloppe d’une chape de plomb, un bon 30° à l’ombre, un été qui s’emballe après nous avoir dévoilé que ses plus tristes atours. C’est un piège, je ne me fais pas prendre, trop évident. Je pars à l’assaut de l’attente la tête trempée, la casquette trempée, le casque trempé, ainsi que la nuque et le haut du corps humidifié. Je sais comment lutter contre la chaleur : tout refroidir, remède simple et efficace. Et reculer le plus longtemps possible la mise au soleil. Il y a foule, je me tiens dans l’ombre étroite d’un conifère et j’observe… Comment se forme l’attroupement devant le point de ralliement pour pouvoir emprunter le chemin qui passe sous le tunnel et aller s’entasser sur le stade. J’ai pour ambition de partir dans la 1ère vague des moins de 90 heures alors je regarde comment s’organise ce conglomérat de vélos et d’êtres et j’essaie de deviner comment me faufiler adroitement, et gruger sans provoquer le courroux des autres embarqués. Les moins de 80h s’installe sur la ligne de départ, Daniel, Julien et Rodolphe doivent s’y tenir. Lorsqu’ils sont libérés, une grosse bronca s’élève, ça prend aux tripes, met les larmes aux yeux, nous les va-nu pieds, on applaudit à tout rompre l’élite de Paris Brest Paris, sans doute aussi parce que l’on évacue une part de notre stress ainsi, à fêter un départ qui appelle le nôtre, marquant la fin de deux années de préparation et de planification, une sorte de bouchon qui saute, une libération…
Je suis sur le stade, côté gauche, sûr de mon option. En 2007, je suis resté bloqué à droite pendant un bon moment. J’ai réussi à optimiser mon opération « attente à l’ombre la plus longue possible/accéder dans les premiers sur le tartan du gymnase ». J’ai un peu rusé, j’ai pédalé au lieu de marcher, je me suis fait un peu houspiller, j’ai fait semblant de ne pas entendre ou je me suis excusé, j’ai couru poussant la bicyclette et me v’là contre les barrières. J’aperçois mon petit monde à une cinquantaine de mètres, qui attend ma sortie. Je me mets à manger mon gâteau-sport, qui ne coule pas aussi bien que voulu… Faut dire que ça nous tape sur le carafon, j’ai largué mon casque, mis la casquette à l’envers à l’ancienne, histoire d’éviter le coup de soleil fatal. A tout casser je suis à 60 mètres du sésame mais je commence à avoir une mauvaise impression : je ne bouge pas d’un iota alors que les mecs passent par grappes entières, de l’autre côté. Merde, j’ai encore choisi la mauvaise caisse, celle où il manque le prix sur l’objet. Du coup, la pression monte dans notre file, je m’engueule avec un vieux coucou qui veut me piquer ma place, en m’accusant du contraire. Le ton monte naturellement, il finit par m’insulter car j’ai le don d’énerver assez facilement les gens en leur tenant tête, hors de question de ne pas avoir le dernier mot. Je refuse que l’on me pousse du coude pour m’empêcher de passer, c’est tout… Et là, je ne grugeais plus, je défendais ma place. Au bout de vingt minutes, des gars s’aperçoivent que notre côté ne s’écoule que sur deux files alors que l’autre a envahit les six dernières. Des commissaires rectifient le tir, nous dé-bouchonnons mais trop tard, trop tard pour partir avec la première vague, fâcheux contretemps car cela met en l’air mon cher road-book, calculé à partir de 18h. Tant pis, une première couleuvre à avaler, je passe le sas qui valide ma présence, c’en est fini de l’incertitude, à partir de ce moment, je reprends les commandes et suis maître de mon destin car je rentre en territoire connu : celui de mon expérience ratée de 2007 et ma préparation de deux ans !
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Je me souvenais d’un problème d’il y a quatre ans : trouver une place où se garer sur St Quentin, en pleine ville pour pouvoir se préparer sereinement, manger tranquillement avant de prendre le départ. Eviter un stress inutile… Je décide donc de repérer un coin le samedi 20 Août, jour de présentation du vélo aux commissaires et du retrait des plaques de cadre et de voiture suiveuse. On annonce une bonne fournaise, du 30° à l’ombre, il faut donc de l’arbre. Je me connecte sur Google earth, retrouve le fameux rond-point des sangliers et voit de la verdure pas très loin, à peine 500 mètres, une sorte de petit bois… J’archive le nom de la rue dans le GPS et me v’là parti, direction la capitale avec le Zèbre dans la fabienne, où je retrouve sans mal, grâce à ma petite prépa, le petit havre de paix que je voulais, il y a même des places de parking. C’est hallucinant cette tranquillité à quelques encablures de la fureur de St Quentin, où je me meus sans mal, je me souviens où tout se tient, je vais vite pour les formalités administratives et repart aussi sec…
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Autre grosse difficulté de Paris Brest Paris, la gestion de l’intendance lorsque l’on a choisi d’effectuer la randonnée avec assistance. De 2007, je me souviens encore de la C5 du Pé remplie à ras-bord, plus un centimètre carré de libre, il fallait tout descendre pour trouver une paire de chaussettes, tout remettre, bref une perte de temps insensée. Sans compter les arrêts obligatoires dans les dortoirs pour pouvoir dormir qui sont un gouffre de minutes évaporées. Le 1000 de l’an passé avait mis en relief une meilleure organisation, avec une banquette arrière libérée pour pouvoir manger et se changer, un autre véhicule, le « Picassio » aux formes plus arrondies, plus conformes et des arrêts douche-sommeil dans des hôtels disséminés sur le parcours. Pour le Paris-Brest, je n’osais rêver d’un carrosse : manger à l’abri, à son aise, se doucher, se changer, une petite maison sur roues, un havre qui me mette hors de portée des éléments aux moments que j’aurai soigneusement définis et préalablement choisis. Ces rémissions connues allaient donc m’aider à surmonter les naufrages, j’en étais persuadé : savoir que l’on va pouvoir se changer au sec permet d’affronter avec un meilleur moral le grain qui vous trempe. Rien n’est pire que d’additionner les galères, et laisser le vent mauvais s’insinuer dans votre esprit : Paris-Brest vous présente la douloureuse et le vélo est posé contre un mur, le corps rincé par une épreuve qui n’a plus de sens. Je savais que c’était une affaire entre moi et moi et, que dans ce contexte, rien ne devait être dur. Sur ces routes, il me fallait un cocon, un élément de sécurité sur lequel je pouvais compter. Et je l’eus, grâce à la générosité de mes parents : un camping-car me précède et contient tout ce que j’ai besoin, dans son antre…

Me voilà sur la ligne de départ, j’en connais son cirque, celui qui m’avait fait battre le cœur la dernière fois. J’étais en première ligne, prêt à mettre les gaz… Ce coup-ci, je me tiens loin de la boite à sardines, je discute avec mon petit monde, qui me donne ses derniers encouragements sous la forme de banderoles qui me font monter une émotion dans la gorge. Malgré tout, je suis serein, j’ai une œuvre à accomplir, une aventure à vivre mais ce coup-ci, j’en ai étudié les tenants et les aboutissants. Le feu vert s’est allumé, la route nous est ouverte presque dans le silence, sans aucune ovation. Je n’aime pas cette différence de traitement entre les Grands et nous, la piétaille des plus de 90h, les sans-grades… J’ai du franchir la ligne le dernier de la vague de 18h30. Hors de question cette fois-ci de foncer tête baissée et de me laisser griser par la vitesse. Je fais gaffe à la chute, repérant les maladroits, je remonte la file en souplesse, me faufilant en retrouvant mes réflexes d’ancien coureur, profitant au maximum de l’aspiration, l’œil sur mon cardiofréquencemètre limité à 130 pulsations. Je filoche comme un chat, rasant les bras et les sacoches. Mes collègues n’ont pas l’air d’apprécier ce jeu, je dois leur filer la trouille alors ça braille parfois. Oh, les gars, peut être aurait-il fallu retourner à l’école de cyclisme ou peut être commencer par cela…

J’ai appris, tout au long de ces années de compétition dans le peloton, entenaillé, devant faire confiance à ceux qui me précédaient comme devant donner confiance à ceux qui me suivaient : on s’appuyait les uns sur les autres (parfois au sens littéral), cela avait du sens… Ici, l’inverse prédomine, ceux que je vais bientôt définir par l’expression « les Jaunes » n’ont qu’un précepte : celui de l’individualisme forcené, voire de l’égotisme. J’en avais pressenti certains aspects durant les brevets qualificatifs et sur le 1 000 kilomètres de l’an passé. Maintenant, cela se confirme et je n’aime pas. L’esprit de corps du monde cyclotouriste que l’on m’avait décrit, ce que j’avais pu en lire, tout ça c’est du vent : le cyclo vit en groupe mais que dans son groupe, il n’accueille pas ou d’un mauvais œil, des fois que l’on profiterait d’une part du gâteau (c'est-à-dire de l’abri), il a ses signes de propre reconnaissance, notamment ce bel uniforme jaune fluo. Comme je le dégage dès que je peux, je ne leur ressemble plus… D’autant que je mets un point d’honneur à être paré de mes plus belles tenues, qui me donnent beaucoup plus l’air d’un coursier que d’un randonneur. D’autant que je chevauche un bestiau de carbone aux lignes racées qui est loin des canons de leurs randonneuses. Bref, eux sont souvent attifés comme l’as de pique, rien n’étant coordonné, leurs clous sont souvent moches, j’ose le dire… Jamais je ne monterai sur mon vélo en me trouvant laid et en le trouvant laid. Je cherche l’harmonie… J’étais venu vers ce monde cyclotouriste avec les meilleures intentions, l’on m’a éjecté comme un mal-propre parce que j’étais différent. Bel esprit, Messieurs…

Fin de la première partie
 

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