Et
voilà, le Zèbre est remisé dans son coin de garage, pendu par le cadre à son
crochet dédié. J’en ai fini de cette aventure, longue de deux ans et qui s’est
conclue le 25 Août 2011, comme on referme la dernière page d’un livre. On le
tient, la main couchée dessus, avec l’esprit parti vers un ailleurs vagabond,
cerné par la nostalgie du ferment de la mise en abîme, haletante, et par la
curiosité de la nouveauté du prochain ouvrage. Me voilà, sur le stade du
gymnase des droits de l’homme de St Quentin en Yvelines, ne sachant si je dois
rire ou pleurer, automate dans mes mouvements pour satisfaire aux dernières
démarches administratives, automate dans mes pensées, rempli de ce que je viens
d’accomplir, son prix, son exaltation et conscient qu’il va falloir assez vite
garnir cette case vide. En attendant :
« J'ai longtemps
rêvé cette arrivée...je crois même avoir un peu trop idéalisé ce moment... J'ai
attendu avec impatience de deviner enfin ta silhouette... J'en avais mal au
ventre, autant je crois qu'à l'attente des résultats du Bac ou de mes examens à
la fac... Je me suis surprise même à trembler... Là où j'étais placée, chaque
randonneur déboulait d'un petit virage derrière une petite haie... Je regardais
ma montre sans cesse, mais tu n’arrivais toujours pas… J'espérais saisir et
immortaliser dans ma mémoire ton premier sourire... J'attendais un cri de joie,
une étreinte passionnée… Comme à la télé… Je n’avais pas imaginé un instant que
cette aventure allait s'achever aussi modestement et avec cette apparente
indifférence… J’étais quelque peu désemparée… Déçue, oui, frustrée je crois…
Tant de kms à parcourir, une préparation qui avaient conditionné ta vie (mais
aussi un peu la nôtre) pendant 2 années... Je ne comprenais pas... Tout était
déjà fini... »
Tout
était déjà fini… Ce sont les mots de ma femme. Qui traduisent nos sentiments
mêlés, cette dernière page difficile à tourner, celle de cette grande aventure,
ma plus grande aventure sportive, si prégnante, qu’elle s’est refermée au
ralenti dans les semaines qui suivirent. Un blues…
Paris
Brest Paris est un tout, qui va au-delà de cet aller-retour, épisode final
écrasant, partie émergée de l’iceberg. Bien décevante subjectivement, dans
beaucoup de compartiments et subjuguante par d’autres côtés…
L’important,
c’était Brest, un graal, une chanson de geste. J’étais tendu vers Brest, et son
inconnu.
Brest
qui se défendit comme une forteresse, projetant un brouillard épais pendant
l’approche de nuit au-travers des monts d’Arrée, offrant un matin piteux envahi
par la bruine et la brume à ses pieds. Brest qui reste un mystère, ne donnant à
voir que des immeubles gris et un flot de circulation encombrant. Quel était
donc ce point à atteindre, cette limite obsédante pour le corps et l’esprit ?
Point
cardinal, une ruée vers l’Ouest, j’y allais en pionnier, espérant mettre la
main sur un filon tout en sachant que le chemin allait être parsemé d’embûches.
Il
est clair que je fus pris par la légende, j’avais envie d’être sur cette route,
sur ces traces, sûrement de m’y confronter, l’été venu… Ce qui m’intéressait,
c’était d’aller y faire un constat : oui, je suis capable, à ma manière,
de dompter ce ruban fauve. A ma manière, sans séquelles et dans la gestion des
aléas et des bas : il fallait m’en sortir, pouvoir me tenir droit, en
conformité avec mes prévisions.
Cela m’exaltait de vérifier cette conformité avec
la réalité. N’en être pas si sûr ajoutait du sel à l’épique : Paris Brest
Paris est raconté comme une épopée. Surfer la vague et en dégringoler comme ce
fût le cas en 2007 n’est pas chose si facile à assumer : un petit regard
de biais te jaugeant et te laissant le goût de l’aigre-doux, les arguments
tombant à plat face à la montagne, que l’on n’a pu gravir. Soit tu réussis à
revenir à ce rond-point du gymnase des Droits de l’Homme, soit tu te tais… Point
barre.
Dimanche
21 août, le soleil nous enveloppe d’une chape de plomb, un bon 30° à l’ombre,
un été qui s’emballe après nous avoir dévoilé que ses plus tristes atours.
C’est un piège, je ne me fais pas prendre, trop évident. Je pars à l’assaut de
l’attente la tête trempée, la casquette trempée, le casque trempé, ainsi que la
nuque et le haut du corps humidifié. Je sais comment lutter contre la
chaleur : tout refroidir, remède simple et efficace. Et reculer le plus
longtemps possible la mise au soleil. Il y a foule, je me tiens dans l’ombre
étroite d’un conifère et j’observe… Comment se forme l’attroupement devant le
point de ralliement pour pouvoir emprunter le chemin qui passe sous le tunnel
et aller s’entasser sur le stade. J’ai pour ambition de partir dans la 1ère
vague des moins de 90 heures alors je regarde comment s’organise ce conglomérat
de vélos et d’êtres et j’essaie de deviner comment me faufiler adroitement, et
gruger sans provoquer le courroux des autres embarqués. Les moins de 80h
s’installe sur la ligne de départ, Daniel, Julien et Rodolphe doivent s’y
tenir. Lorsqu’ils sont libérés, une grosse bronca s’élève, ça prend aux tripes,
met les larmes aux yeux, nous les va-nu pieds, on applaudit à tout rompre
l’élite de Paris Brest Paris, sans doute aussi parce que l’on évacue une part
de notre stress ainsi, à fêter un départ qui appelle le nôtre, marquant la fin
de deux années de préparation et de planification, une sorte de bouchon qui
saute, une libération…
Je
suis sur le stade, côté gauche, sûr de mon option. En 2007, je suis resté
bloqué à droite pendant un bon moment. J’ai réussi à optimiser mon opération
« attente à l’ombre la plus longue possible/accéder dans les premiers sur
le tartan du gymnase ». J’ai un peu rusé, j’ai pédalé au lieu de marcher,
je me suis fait un peu houspiller, j’ai fait semblant de ne pas entendre ou je
me suis excusé, j’ai couru poussant la bicyclette et me v’là contre les
barrières. J’aperçois mon petit monde à une cinquantaine de mètres, qui attend
ma sortie. Je me mets à manger mon gâteau-sport, qui ne coule pas aussi bien
que voulu… Faut dire que ça nous tape sur le carafon, j’ai largué mon casque,
mis la casquette à l’envers à l’ancienne, histoire d’éviter le coup de soleil
fatal. A tout casser je suis à 60 mètres du sésame mais je commence à avoir une
mauvaise impression : je ne bouge pas d’un iota alors que les mecs passent
par grappes entières, de l’autre côté. Merde, j’ai encore choisi la mauvaise
caisse, celle où il manque le prix sur l’objet. Du coup, la pression monte dans
notre file, je m’engueule avec un vieux coucou qui veut me piquer ma place, en
m’accusant du contraire. Le ton monte naturellement, il finit par m’insulter
car j’ai le don d’énerver assez facilement les gens en leur tenant tête, hors
de question de ne pas avoir le dernier mot. Je refuse que l’on me pousse du
coude pour m’empêcher de passer, c’est tout… Et là, je ne grugeais plus, je
défendais ma place. Au bout de vingt minutes, des gars s’aperçoivent que notre
côté ne s’écoule que sur deux files alors que l’autre a envahit les six dernières.
Des commissaires rectifient le tir, nous dé-bouchonnons mais trop tard, trop
tard pour partir avec la première vague, fâcheux contretemps car cela met en
l’air mon cher road-book, calculé à partir de 18h. Tant pis, une première
couleuvre à avaler, je passe le sas qui valide ma présence, c’en est fini de
l’incertitude, à partir de ce moment, je reprends les commandes et suis maître
de mon destin car je rentre en territoire connu : celui de mon expérience
ratée de 2007 et ma préparation de deux ans !
*
*
Je
me souvenais d’un problème d’il y a quatre ans : trouver une place où se
garer sur St Quentin, en pleine ville pour pouvoir se préparer sereinement,
manger tranquillement avant de prendre le départ. Eviter un stress inutile… Je
décide donc de repérer un coin le samedi 20 Août, jour de présentation du vélo
aux commissaires et du retrait des plaques de cadre et de voiture suiveuse. On
annonce une bonne fournaise, du 30° à l’ombre, il faut donc de l’arbre. Je me
connecte sur Google earth, retrouve le fameux rond-point des sangliers et voit
de la verdure pas très loin, à peine 500 mètres, une sorte de petit bois…
J’archive le nom de la rue dans le GPS et me v’là parti, direction la capitale
avec le Zèbre dans la fabienne, où je retrouve sans mal, grâce à ma petite prépa,
le petit havre de paix que je voulais, il y a même des places de parking. C’est
hallucinant cette tranquillité à quelques encablures de la fureur de St
Quentin, où je me meus sans mal, je me souviens où tout se tient, je vais vite
pour les formalités administratives et repart aussi sec…
*
*
Autre
grosse difficulté de Paris Brest Paris, la gestion de l’intendance lorsque l’on
a choisi d’effectuer la randonnée avec assistance. De 2007, je me souviens
encore de la C5 du Pé remplie à ras-bord, plus un centimètre carré de libre, il
fallait tout descendre pour trouver une paire de chaussettes, tout remettre,
bref une perte de temps insensée. Sans compter les arrêts obligatoires dans les
dortoirs pour pouvoir dormir qui sont un gouffre de minutes évaporées. Le 1000
de l’an passé avait mis en relief une meilleure organisation, avec une
banquette arrière libérée pour pouvoir manger et se changer, un autre véhicule,
le « Picassio » aux formes plus arrondies, plus conformes et des
arrêts douche-sommeil dans des hôtels disséminés sur le parcours. Pour le
Paris-Brest, je n’osais rêver d’un carrosse : manger à l’abri, à son aise,
se doucher, se changer, une petite maison sur roues, un havre qui me mette hors
de portée des éléments aux moments que j’aurai soigneusement définis et
préalablement choisis. Ces rémissions connues allaient donc m’aider à surmonter
les naufrages, j’en étais persuadé : savoir que l’on va pouvoir se changer
au sec permet d’affronter avec un meilleur moral le grain qui vous trempe. Rien
n’est pire que d’additionner les galères, et laisser le vent mauvais s’insinuer
dans votre esprit : Paris-Brest vous présente la douloureuse et le vélo
est posé contre un mur, le corps rincé par une épreuve qui n’a plus de sens. Je
savais que c’était une affaire entre moi et moi et, que dans ce contexte, rien
ne devait être dur. Sur ces routes, il me fallait un cocon, un élément de
sécurité sur lequel je pouvais compter. Et je l’eus, grâce à la générosité de
mes parents : un camping-car me précède et contient tout ce que j’ai
besoin, dans son antre…
Me
voilà sur la ligne de départ, j’en connais son cirque, celui qui m’avait fait
battre le cœur la dernière fois. J’étais en première ligne, prêt à mettre les
gaz… Ce coup-ci, je me tiens loin de la boite à sardines, je discute avec mon
petit monde, qui me donne ses derniers encouragements sous la forme de
banderoles qui me font monter une émotion dans la gorge. Malgré tout, je
suis serein, j’ai une œuvre à accomplir, une aventure à vivre mais ce coup-ci,
j’en ai étudié les tenants et les aboutissants. Le feu vert s’est allumé, la
route nous est ouverte presque dans le silence, sans aucune ovation. Je n’aime
pas cette différence de traitement entre les Grands et nous, la piétaille des
plus de 90h, les sans-grades… J’ai du franchir la ligne le dernier de la vague
de 18h30. Hors de question cette fois-ci de foncer tête baissée et de me
laisser griser par la vitesse. Je fais gaffe à la chute, repérant les
maladroits, je remonte la file en souplesse, me faufilant en retrouvant mes
réflexes d’ancien coureur, profitant au maximum de l’aspiration, l’œil sur mon
cardiofréquencemètre limité à 130 pulsations. Je filoche comme un chat, rasant
les bras et les sacoches. Mes collègues n’ont pas l’air d’apprécier ce jeu, je
dois leur filer la trouille alors ça braille parfois. Oh, les gars, peut être
aurait-il fallu retourner à l’école de cyclisme ou peut être commencer par cela…
J’ai
appris, tout au long de ces années de compétition dans le peloton, entenaillé, devant
faire confiance à ceux qui me précédaient comme devant donner confiance à ceux
qui me suivaient : on s’appuyait les uns sur les autres (parfois au sens
littéral), cela avait du sens… Ici, l’inverse prédomine, ceux que je vais
bientôt définir par l’expression « les Jaunes » n’ont qu’un
précepte : celui de l’individualisme forcené, voire de l’égotisme. J’en
avais pressenti certains aspects durant les brevets qualificatifs et sur le
1 000 kilomètres de l’an passé. Maintenant, cela se confirme et je n’aime
pas. L’esprit de corps du monde cyclotouriste que l’on m’avait décrit, ce que
j’avais pu en lire, tout ça c’est du vent : le cyclo vit en groupe mais
que dans son groupe, il n’accueille pas ou d’un mauvais œil, des fois que l’on
profiterait d’une part du gâteau (c'est-à-dire de l’abri), il a ses signes de
propre reconnaissance, notamment ce bel uniforme jaune fluo. Comme je le dégage
dès que je peux, je ne leur ressemble plus… D’autant que je mets un point
d’honneur à être paré de mes plus belles tenues, qui me donnent beaucoup plus
l’air d’un coursier que d’un randonneur. D’autant que je chevauche un bestiau
de carbone aux lignes racées qui est loin des canons de leurs randonneuses.
Bref, eux sont souvent attifés comme l’as de pique, rien n’étant coordonné,
leurs clous sont souvent moches, j’ose le dire… Jamais je ne monterai sur mon
vélo en me trouvant laid et en le trouvant laid. Je cherche l’harmonie… J’étais
venu vers ce monde cyclotouriste avec les meilleures intentions, l’on m’a
éjecté comme un mal-propre parce que j’étais différent. Bel esprit, Messieurs…
Fin de la première partie
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire